L’accès au dossier de droit pénal, au cœur de la réforme de la garde à vue
Pour un avocat, l’accès au dossier pendant la garde à vue de son client n’est pas chose facile et cela malgré la timide réforme entreprise en la matière. Enquête sur l’accès au dossier en droit pénal.
Véritable révolution dans le domaine pénal, le débat sur la réforme de la garde à vue a été relancé par l’impossibilité pour les avocats d’accéder au dossier pénal de leur client pendant ce temps.
Qui dit impossibilité d’accès dit aussi impossibilité, pour l’avocat, de lire les procès-verbaux d’auditions tant du mis en examen que des victimes et des témoins. C’est surtout une violation des droits de la défense et l’avocat peut faire une saisine potentielle auprès de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, gardienne des droits et libertés fondamentaux. La Cour Européenne veille, en effet, à ce que les droits des particuliers soient respectés et non violés par l’Etat, auquel cas, celui-ci devra procéder à des réparations.
Violation du principe d’égalité des armes ?
La Cour Européenne des Droits de l’Homme s’assure que la Convention Européenne des Droits de l’Homme, qui se compose d’articles énonçant divers droits et libertés, soit respectée dans son ensemble.
Parmi ces droits et principes, il y a celui de l’égalité des armes. Toutes les parties doivent jouir des mêmes droits et se défendre à armes égales. Or, empêcher un avocat d’avoir accès au dossier de son client lorsque celui-ci est en garde à vue, le défavorise par rapport aux autres parties (le Procureur et la victime) au procès pénal.
L’article 63-4-1 du code pénal français, issu de la loi du 14 avril 2011, autorise l’avocat à seulement consulter le procès-verbal de notification du placement en garde à vue, les procès-verbaux d’audition et le certificat médical.
Véritable aberration et violation des droits de la défense pour tout avocat pénaliste qui se respecte, pour la Cour de cassation, au contraire, la communication et la consultation de ces trois documents suffit à garantir le respect des droits du mis en examen pendant la garde à vue.
Droit à un procès équitable VS…
Pareil cas ne pouvait donc pas continuer éternellement. La Chambre criminelle de la Cour de cassation française a tenu bon jusqu’en 2012 en refusant d’accorder aux avocats la possibilité de consulter le dossier pénal et les pièces pendant la garde à vue de leur client. Pour les juges de droit français la non communication de l’ensemble du dossier pénal à l’avocat ne viole par l’article 6§3 de la Convention Européenne des droits de l’Homme qui vise à assurer un droit à un procès équitable.
Critiqués, les juges n’ont pas fléchi. Pourtant les avocats n’ont eu de cesse de s’insurger face à cette atteinte aux droits de la défense, particulièrement pendant la garde à vue. Et ce alors même que ces droits de la défense avaient été consacrés plus tôt par la loi du 14 avril 2011. Véritable bras de fer juridique, cet accès au dossier pénal a enflammé le débat sur la nécessité d’une réforme de la garde à vue. Et il a semé la zizanie au sein même du monde juridique et judiciaire. Plusieurs procédures ont été annulées après l’entrée en vigueur de ladite loi, sur ce simple motif.
…Nécessités de l’enquête
Si le principe de l’égalité des armes prévaut en matière pénale, alors les nécessités de l’enquête ne doivent pas être écartées. Il appartient toutefois aux juges de mesurer les nécessités de l’enquête face au respect des droits de la défense. Car la garde à vue est une procédure qui vise à retenir l’auteur d’une infraction pendant un temps relativement court, vingt-quatre heures renouvelable une fois, à l’issu duquel le gardé à vue sera remis en liberté faute de preuves contraires obtenues.
Pour se conforter dans son opinion, la Chambre criminelle a donc transmis une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel pour que celui-ci vérifie la conformité d’une disposition ou d’une loi avec la Constitution française. Et le Conseil Constitutionnel a effectivement confirmé la position des juges du fond, en considérant que la loi du 14 avril 2011 garantissait suffisamment les droits de la défense tout en les conciliant avec les nécessités de l’enquête. Littéralement, les droits de la défense n’imposent pas de façon tout à fait absolue la communication de l’ensemble des pièces du dossier à l’avocat durant la garde à vue. Mais de manière extensive, cette impossibilité d’accéder au dossier est une violation du principe de l’égalité des armes.
Saisine de la Cour européenne, vers une condamnation du système de garde à vue français ?
Après saisine de la Cour de cassation, il ne reste plus aux particuliers qu’une seule possibilité: Saisir la Cour Européenne des droits de l’homme, dernier recours à la violation d’un droit qu’un Etat se refuse de leur reconnaitre.
Cette saisine de la Cour Européenne permettrait de faire condamner la France pour son système de garde à vue. Précédemment ladite Cour avait considéré que la Turquie avait violé le droit à un procès équitable, et l’article 6§3, en refusant à un avocat l’accès aux pièces du dossier.
Reste à savoir si la Cour Européenne condamnera la France sur les mêmes motifs… et si une décision de la Cour Européenne a une valeur supérieure à celle du Conseil Constitutionnel.
En tout état de cause, la loi du 14 avril 2011 est une avancée très importante en droit français même si cette réforme est encore critiquée et qualifiée de non aboutie par les professionnels du droit. Il ne faut pas oublier que le débat qui entoure la garde à vue date de plus de… dix ans !