Affaire du Bois Bleu : autopsie d’une erreur judiciaire
Accusée à tort, au cours d’une enquête bâclée, du meurtre d’un banquier, Monique Case n’a dû son salut qu’à l’opiniâtreté d’une magistrate et d’un policier bien décidés à rétablir la vérité. L’affaire dite du « Bois Bleu », qui a défrayé la chronique en 1965, reste l’un des exemples les plus marquants d’erreur judiciaire.
4 novembre 1965. Alors que la France est en émoi suite à la disparition de Mehdi Ben Barka, une macabre découverte va emballer les milieux judiciaire et médiatique. Au lieu-dit du Bois Bleu, dans le paisible département du Cher, le cadavre d’un homme est retrouvé carbonisé dans sa 2cv, à demi dissimulée sous des taillis.
Georges Segretin, 54 ans, directeur d’une agence bancaire de la Société générale, a été dévalisé et violemment frappé à la tête avant que son véhicule ne soit incendié. Ce crime sordide va marquer le point de départ d’une enquête à charge et d’un incroyable acharnement policier.
« Monique la diabolique », « voleuse de maris »
La découverte est relayée par la presse locale qui cite un témoignage affirmant que la voiture de la victime a été aperçue le jour même du crime à une vingtaine de kilomètres de La Guerche-sur-l’Aubois.
Depuis la vitrine de son commerce de photographie, Monique Case a pourtant vu, au jour et à l’heure mentionnés dans le journal, la voiture de M. Segretin garée dans la rue principale de La Guerche. Elle décide alors de se rendre au commissariat pour rapporter son propre témoignage.
Si madame Case est une citoyenne intègre, elle se trouve néanmoins précédée par sa réputation de femme aux mœurs un peu trop libres pour l’époque. Dans cette commune d’à peine quelques milliers d’habitants, son franc-parler et son apparence soignée font d’elle la cible de tous les ragots. Sa liaison supposée avec un gendarme alimente les rumeurs, qui éclatent alors au grand jour. Très vite, certains murmurent que les amants pourraient bien être les auteurs du meurtre de Georges Segretin.
Des coupables tout trouvés
Les enquêteurs de la SRPJ d’Orléans veulent résoudre au plus vite une affaire pour laquelle ils manquent cruellement d’éléments. Les rumeurs qui leur parviennent trouvent alors une oreille attentive auprès du commissaire Ayala, qui dirige l’enquête. D’autant que l’alibi de Monique Case, pour le jour du crime, ne tient pas. N’a-t-elle pas déclaré avoir passé l’après-midi en présence du gendarme Jules Barrault, son amant supposé, tandis que ce dernier nie farouchement ?
Il sera démontré bien plus tard que Mme Case n’avait pas menti et que, voulant protéger son mariage, Jules Barrault s’était empêtré dans un faux témoignage qui va s’avérer lourd de conséquences. Interrogatoires humiliants, vindicte populaire, presse déchaînée et manipulations de la part des enquêteurs vont mener à l’inculpation de Monique Case et de Jules Barrault qui sont incarcérés et risquent tous deux la guillotine.
Une enquête entachée d’irrégularités
Témoin de cet acharnement, un policier, André Navarro, reporte alors à la juge d’instruction, Mlle Chouvelon, toutes les irrégularités qu’il a constatées au cours de l’enquête. Elles sont tellement nombreuses que la magistrate décide de la libération immédiate des deux prévenus qui auront passé tous deux 43 jours en détention.
Ce n’est qu’un an plus tard, en 1966, que le coupable est confondu. Ernest Rodrigues, un ouvrier agricole perclus de dettes, avait tendu une embuscade au banquier afin de lui dérober la somme de 2000 francs. L’arme du crime, une barre de fer, a été retrouvée au fond de son puits et l’homme est finalement passé aux aveux.
En plein cœur de l’affaire, alors que la presse et la justice s’acharnaient sur les deux innocents, le coupable, rongé par le remord, avait rédigé une lettre anonyme tentant de les disculper. Au terme de l’instruction, Ernest Rodrigues sera condamné aux travaux forcés à perpétuité, sans que les errements pourtant extrêmement graves des enquêteurs ne soient abordés au cours du procès.
Une vérité qui dérange
Cette affaire illustre la facilité avec laquelle quelques policiers ont orienté une enquête pourtant dénuée de preuves. Les méthodes utilisées ont longtemps constitué un cas d’école et illustrent la fuite en avant d’inspecteurs peu scrupuleux. Devant la fragilité des charges, faux témoignages, fabrication d’éléments et incohérences se sont bousculés afin de faire de Mme Case et de M. Barrault les coupables idéals.
Si les enquêteurs indélicats ont été mutés, seul le policier ayant dénoncé les faits a fait l’objet d’une mesure disciplinaire, pour n’être pas passé par le canal de sa hiérarchie. L’attitude de la presse, tant régionale que nationale, n’aura pas non plus été des plus exemplaires. L’ostracisme dont Monique Case, son mari et leurs trois enfants ont été les cibles n’a malheureusement pas cessé après l’arrestation du véritable coupable.
Le commerce du couple a périclité, les enfants ont longtemps fait l’objet de moqueries et les calomnies ont perduré. 41 ans après les faits, Gérard Boursier, originaire des lieux, a consacré un ouvrage[1] à cette affaire et n’a pu que constater les dégâts occasionnés par ce tragique fait-divers.
Bien que le meurtre du Bois Bleu soit aujourd’hui peu cité, son souvenir demeure vivace dans la commune de La Guerche-sur-l’Aubois, où l’on parle encore de « l’affaire Monique Case ».
[1] Gérard Boursier, L’affaire du Bois bleu, aux éditions Noir délire, 2006.
Sources des photos : criminocorpus.hypotheses.org et amazon.com