Non-dénonciation, dilemme pour les évêques de France
Depuis quelques mois, la France est secouée par un scandale pédophile sans précédent. Celui-ci met en cause l’église catholique française et particulièrement l’un de ses plus hauts représentants : le cardial Barbarin. En effet l’archevêque de Lyon est soupçonné d’avoir couvert les agissements du prêtre Bernard Preynat. Si le cardinal Barbarin n’est pas mis en cause directement pour ses actions, c’est sa passivité qui lui est reprochée. Et même si, lors de son audition le 8 juin dernier, « il est entendu comme témoin», il pourrait être condamné pour « délit de non-dénonciation ».
Le délit de non-dénonciation n’existe, en droit français que dans des cas très précis. Ainsi, l’article 434 du code pénal, intitulé « Entraves à la saisine de la justice » stipule « le fait, pour quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende ».
Aucune mesure stricte à l’encontre du père Preynat
Il existe néanmoins des cas particuliers excluant de cette obligation la famille proche des auteurs ou complice du crime ou délit et les personnes astreintes au secret professionnel comme les médecins. Dans le cas du scandale pédophile en région lyonnaise, l’accusée, le père Preynat, avait lui-même reconnu les faits il y a de nombreuses années sans que ses supérieurs ne prennent de mesures strictes à son encontre.
En juillet 2014, le cardinal Barbarin est personnellement prévenu par courrier, envoyé par une ancienne victime du prêtre, des soupçons qui pèsent sur Bernard Preynat. Dans un entretien accordé au journal La Croix en février 2016, il reconnaîtra avoir été informé de ces agissements. Il mettra plus d’un an à le relever de ses fonctions sans pour autant prévenir les autorités compétentes. C’est cette même victime qui en réfère finalement au parquet de Lyon en juin 2015.
Première condamnation en 2001 d’un évêque pour non-dénonciation
Selon la loi, le cardinal Barbarin et les autres membres du diocèse de Lyon sont donc à priori coupables de non-dénonciation. Il existe d’ailleurs un précédent pour un cas similaire. En 2000 l’abbé Bissey est condamné à 18 ans de prison pour agressions sexuelles et viols sur mineurs entre 1985 et 1996. En effet, en septembre 2001, le supérieur de l’abbé Bissey, Pierre Pican, évêque de Bayeux et de Lisieux, est condamné pour non-dénonciation de crimes pédophiles à 3 mois de prison avec sursis. Une première en France et en Europe.
On pourrait penser que les personnes qui occupent un ministère au sein de l’Eglise catholique de France sont couvertes par le secret professionnel. Pourtant, depuis le 1er mars 1994, lorsque les victimes sont des mineurs de moins de 15 ans, aucune exception ne tient. Ainsi, aucune excuse n’a pu défendre le Cardinal Barbarin dans ce cas.
L’Eglise catholique de France tente de réagir
Depuis le début des années 2000, l’église a d’ailleurs réagi en condamnant publiquement les actes pédophiles et en mettant en place différentes mesures. Ainsi en 2007, l’évêque de Meaux s’est porté partie civile contre un prêtre de son diocèse. De même, en avril 2016, Marc Aillet, évêque de Bayonne contacte le procureur de la République pour dénoncer les agissements du père Jean-François Sarramagnan pour des actes de pédophilie qui lui avaient été rapporté en 2009. On peut légitimement penser que le retentissement de l’affaire lyonnaise a incité Marc Aillet à briser le silence.
On constate donc qu’effectivement l’Eglise catholique en France tente de réagir mais cela reste à la discrétion des responsables. Il s’agit dans la plupart des cas pour les évêques d’un cas de conscience : faut-il dénoncer publiquement le problème au risque d’entacher l’image de l’Eglise ? Faut-il garder le silence et essayer de régler le problème en interne, quitte à s’exposer à des sanctions civiles ? Ce dilemme a pour origine la lettre secrète envoyée par le Vatican en 1962 à tous les évêques et responsables ecclésiastiques : Crimen Sollicitationis qui prévoit les dispositions à prendre dans des cas d’abus sexuels au sein de l’Eglise.
Si ce document condamne sans détour les viols, agressions sexuelles et actes de pédophilie, il impose également un silence absolu et que ces cas doivent être traités uniquement par l’Eglise et de ne révéler la situation dans aucun cas. Ainsi, en ne dénonçant pas un prêtre pédophile aux autorités civiles, un évêque ne fait que respecter les ordres du Saint-Siège. Il faut donc nuancer et s’intéresser aux convictions des responsables religieux qui, en cas de non-dénonciation sont coupable devant la loi, et coupable devant leur institution dans le cas contraire.
La pédophilie est, sans la moindre équivoque, condamnable dans tous les cas et les auteurs de ces faits se doivent d’être dénoncés, jugés et condamnés avec la plus grande sévérité. Mais dans le cadre pédophilie au sein de l’Eglise catholique, la dénonciation publique et la poursuite des auteurs au civile n’est malheureusement pas encore aussi aisée pour les responsables et en cela, l’Eglise catholique se doit d’évoluer. La justice de Dieu doit s’adapter à la justice de l’homme…le débat est épineux.