Dany Leprince, un homme condamné sans preuve
Automne 1994, toute la France parle de ce fait divers comme du massacre de Thorigné-sur-Dué. Toute une famille est sauvagement assassinée à l’aide d’une feuille de boucher. A l’époque les soupçons se portent sur Dany, le frère de Christian, père de la famille décimée. On parle de jalousie, de règlement de compte. La propre femme de Dany l’accuse du meurtre. Il est alors condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’assassinat de son frère, de sa belle-sœur, et de deux de leurs enfants mais Dany Leprince a toujours clamé son innocence. Retour sur cette affaire encore aux prises avec de nombreuses zones d’ombre.
Lundi 5 septembre 1994, 9h15, Christian Leprince, 34 ans, est retrouvé chez lui, baignant dans une mare de sang, le visage complètement défiguré. Il avait, auparavant, été tué devant chez lui, face à sa boite aux lettres.
Aux côtés de Christian dans la maison, sa fille, Sandra, 10 ans, elle aussi est allongée, morte, dans le couloir d’entrée de la maison familiale. Dans la cuisine, Brigitte, 36 ans, femme de Christian, gît sur le sol. Audrey, 6 ans, elle, a été tuée dans la salle bain avant d’être trainée jusqu’à sa chambre.
Seule survivante du massacre, la petite sœur, Solène, 2 ans, découverte indemne sur le lit de sa chambre en pleurs.
Un mobile prêt a l’emploi
« Bien en évidence » sur le bureau, comme le relèvent l’enquête, les gendarmes retrouvent une reconnaissance de dette de 10 000 francs, vieille de 10 ans, contractée entre Christian Leprince et son frère Dany.
L’argent, mobile du meurtre ? Il est vrai que Christian Leprince a plutôt bien réussi sa vie et demeure à l’abri du besoin alors que, Dany, lui, croule sous les dettes et doit exercer deux métiers pour tenter de faire vivre sa famille.
Pour les gendarmes, l’affaire est donc déjà résolue : il ne reste qu’à obtenir des preuves.
Une histoire construite en garde-à-vue
Des preuves matérielles, les gendarmes ne vont pas en trouver. Ils ne vont, en fait, pas non plus vraiment en chercher. Ils vont plutôt essayer d’obtenir des aveux. Martine, la femme de Dany Leprince, va ainsi leur présenter une histoire étrange mais qui plait aux enquêteurs par sa simplicité.
En effet, cette dernière, après avoir d’abord affirmé n’avoir rien vu, ni entendu, Martine va décider, lors de son 2e jour en garde à vue d’accuser son mari Dany. Elle prétend alors que Dany serait rentré vers 21h30, qu’il aurait avalé son repas en bout de table en 10 minutes puis qu’il aurait quitté le domicile conjugal. Trois minutes après, elle aurait entendu des cris. Elle aurait décidé alors de se diriger à l’extérieur, vers sa boite aux lettres, où elle aurait aperçu Christian « avec quelqu’un de plus grand derrière lui, avec quelque chose dans les mains ». Il s’agirait de son mari et elle lui aurait demandé d’arrêter de frapper son frère avant de courir vers la maison, voisine, de son beau-frère. C’est là qu’elle aurait vu les corps ensanglantés de sa belle-famille. Elle aurait également aperçu Solène, encore vivante, mais affirme ne pas avoir eu le courage d’aller la chercher. Elle aurait préféré rentrer chez elle et « faisant comme si de rien n’était », décidé de regarder la télé avant de rejoindre son mari dans son lit.
Au bout de 46 heures de garde à vue, Dany Leprince reconnait, devant ses interrogateurs, une partie de l’histoire de Martine en avouant avoir tué son frère au motif qu’il refusait de lui prêter de l’argent.
Une culpabilité établie sur un seul témoignage
L’enquête se termine là, sans preuve matérielle ou sans même que les enquêteurs cherchent à savoir si Dany Leprince a bien tué le reste de la famille de son beau-frère, comment il a déplacé les corps ou encore pourquoi il a épargné Solène. Les enquêteurs se contentent de l’obtention des aveux, mêmes partiels, de Dany sur l’histoire qui leur a été servie par sa femme (et confirmée de manière assez floue par sa fille).
Le fait que Dany Leprince revienne sur ses aveux ne changera rien. Les jurés de la Cour d’Assise suivent l’accusation et décident de condamner Dany Leprince à la prison à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sureté de 22 ans de prison.
L’espoir déçu d’un nouveau procès
Le 1er juillet 2010, après plusieurs années de combat de l’association Action Justice et une nouvelle enquête de 5 ans, la commission de révision des condamnations pénales demandait un nouveau procès et, chose exceptionnelle, remettait immédiatement Dany Leprince en liberté dans l’attente de la décision de la Cour de cassation.
Mais cette liberté et cet espoir d’un nouveau procès auront été de courte durée puisque, un an plus tard, cette demande était rejetée et Dany Leprince réincarcéré.
Rapports d’autopsie fluctuants, témoignages contradictoires, impossibilité matérielle pour Dany Leprince d’avoir été présent sur les lieux du crime aux horaires indiqués par son épouse, découverte d’une cave et d’un escalier amovible dans le garage, rapports privilégiés de Martine avec le directeur de l’enquête et un jeune magistrat ou encore découverte de la probable arme du crime qui aurait appartenu à Martine et comportant vraisemblablement des traces de sang d’Audrey, ce sont autant d’éléments qui n’ont pas convaincu les juges de la Cour de cassation de rouvrir un procès.
Dany Leprince est donc, pour la justice française, auteur du quadruple meurtre de Thorigy-sur-Dué. L’est-il vraiment ? Il faudra peut-être encore patienter quelques années pour savoir ce qu’il s’est réellement passé cette nuit du 4 septembre 1994.